Fils de Thomas, Honoré Daudet, inspecteur primaire, et d’Amélie, Angèle, Joséphine Fauron, Charles Daudet, plus connu au sein du mouvement libertaire sous son pseudonyme de Charles-Albert, était issu d’une famille universitaire et bourgeoise. Il étudia à Lille, où il fut licencié de philosophie puis, âgé d’une vingtaine d’année, il exerça comme maître-répétiteur au Collège de Sedan (Ardennes).
Si l’on en croit Victor Méric, la fusillade de Fourmies, le 1er mai 1891 fut pour lui un choc profond et l’élément déclencheur de son militantisme. Il fréquenta alors avec assiduité les réunions et manifestations ouvrières et, après de premières sympathies guesdistes, il devint anarchiste. C’est vraisemblablement à cette époque que Charles-Albert entra en contact avec Jean Grave, lui-même condamné pour un article sur la fusillade.
En 1892, il devint directeur d’imprimerie à Lyon. Lecteur et collaborateur de la presse libertaire (La Révolte, La Société nouvelle, Les Entretiens politiques et littéraires), il dirigea l’impression entre août et novembre 1893 de [L’Insurgé->https://bianco.ficedl.info/article1193.html], hebdomadaire communiste-anarchiste qui totalisa 15 numéros et dont les gérants avaient été L. J. Jacomme puis Ph. Sanlaville.
Durant la période des attentats anarchistes, il fut arrêté et séjourna en prison en janvier 1894.
Une fois la répression apaisée, il vint s’établir à Paris et prit une part beaucoup plus conséquente à la vie du mouvement libertaire. Fort de son expérience d’imprimeur, il entreprit, sans succès, de poursuivre son ancienne activité rue Lafayette où il imprima quelques temps La Société nouvelle et Le Libertaire.
Dans les dernières années du siècle, il écrivit pour de nombreux titres parmi lesquels L’Humanité nouvelle (1898) ou Le Journal du peuple (1899). Mais c’est aux Temps nouveaux que Charles-Albert consacra, à compter de 1895, la majeure partie de son temps et de son énergie. Lorsque, à sa sortie de prison au début 1895, Jean Grave entreprit de reprendre la parution de son journal, Charles-Albert apporta son concours à la récolte des fonds nécessaires à la parution, et récolta plusieurs centaines de francs. Il y publia de très nombreux articles, y tint un temps une rubrique hebdomadaire intitulée « Le point de vue anarchiste », sorte d’édito d’humeur où il exprimait son point de vue sur « Le fait saillant de la semaine ». Rédacteur fécond et maniant l’écrit avec une certaine aisance, il fut l’un des collaborateurs les plus remarqués des Temps nouveaux. La correspondance de Jean Grave en porte la trace, d’Émile Masson qui admirait son esprit « Lucide, rigoureux et libre » à Edmond Duchemin qui disait apprécier « La clarté d’exposition, la sûreté de raisonnement de Charles-Albert ». Charles-Albert prit une telle place dans l’hebdomadaire de Jean Grave qu’il semble en avoir été occasionnellement salarié.
Charles-Albert porta un grand intérêt à l’art et particulièrement à l’art social. Il collabora à la revue L’Art social (voir Bernard Lazare) et dans une de ses conférences, le 27 juin 1896, il définit ce qu’était, à ses yeux, une œuvre d’art. Pour lui, la qualité d’exécution prévalait sur le contenu. Il considérait en outre que l’art s’exprimait autant dans les « beaux-arts » que dans les objets quotidiens. Au sein du mouvement libertaire, il devint un des spécialistes de la question. En 1902, par exemple, Paul Signac* envisagea intervention d’un conférenciers à l’Exposition des indépendants : « Nul ne peut le faire mieux que Charles Albert », écrivit-il à Jean Grave le 20 février.
Charles-Albert se distingua également à cette époque par un grand nombre de publications comme L’Amour Libre et Qu’est-ce que l’art ?
Outre cet intérêt pour l’art, Charles-Albert se fit remarquer aux Temps nouveaux sur plusieurs fronts. Il fut en premier lieu un dreyfusard ardent à compter de janvier 1898 et de la publication du « J’accuse » de Zola. C’est cette défense du capitaine dégradé qui l’engagea, en 1899, aux côtés de Sébastien Faure et du Journal du peuple, à dénoncer le militarisme.
L’actualité internationale le conduisit souvent à réitérer ces campagnes antimilitaristes, notamment lors de la révolte des boxers, en Chine, qui suscita son intérêt. Il milita en faveur de la grève des conscrits et de la désertion. Avec Amédée Dunois, il s’opposa à Pierre Kropotkine lorsque, dans Les Temps nouveaux du 4 novembre 1905, celui-ci déclara qu’il prendrait parti pour la France en cas de guerre avec l’Allemagne.
Cette année-là, il tenta, sans succès, d’organiser une campagne de soutien à la Révolution russe de 1905.
En 1906, lorsque Paul Delesalle quitta Les Temps nouveaux, Charles-Albert recommanda Amédée Dunois à Jean Grave pour le remplacer. Jean Grave, dans ses mémoires, se souvint bien des années plus tard de la relation de Dunois à Charles-Albert, qu’il appelait son « parrain ».
Charles-Albert accorda également beaucoup d’importance aux questions d’enseignement et de pédagogie libertaire. Grand ami de Francisco Ferrer, il devint en 1908 secrétaire général de la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance. En 1909, avec Alfred Naquet et Charles-Ange Laisant, il lança le Comité Ferrer, pour la libération du grand pédagogue espagnol menacé de mort. Mais, malgré une vaste campagne qui mobilisa les milieux ouvriers et laïques, Ferrer fut fusillé.
À cette époque, Charles-Albert s’était rapproché de La Guerre sociale. Dans Les Hommes du jour, Victor Méric le décrivit alors ainsi : « Charles-Albert est avant tout un penseur, un homme de travail et de bibliothèque. Mais nous l’avons montré aussi homme d’action. » Il habitait alors une petite maison de Paris 13e, proche du parc Montsouris.
En 1910, s’engageant dans la campagne Aernoult-Rousset (voir Émile Rousset), il fit partie des 16 cosignataires de l’affiche « À bas Biribi ! » (voir Albert Dureau). Les 16 signataires passèrent en procès les 4 et 5 juillet pour provocation au meurtre et à la désobéissance, et furent acquittés.
En mars il était membre de la société Les Amis de Ferrer qui venait d’être fondée et dont le siège se trouvait 8 rue Monsieur le Prince. Responsable du Comité de défense des victimes de la répression espagnole, il était également chargé de recueillir des fonds. Le comité aurait recueilli environ 20.000 francs dont seulement 200 auraient été distribués. Lors d’une réunion tenue en juin 1910, à La Famille Nouvelle divers compagnons espagnols — dont Duque et Arago — l’avaient mis en cause, notamment pour l’aide apportée à un certain Moreno, parti en Argentine, qui était en fait un escroc et avaient décidé d’une délégation d’exilés devant lui demander de dissoudre le comité. A l’issue de plusieurs réunions et entrevues avec Charles Albert, les agissements du nommé Moreno avaient été dénoncés par ce dernier, Jean Grave et J. Guillaume entre autres.
Au printemps 1910, il fut membre du Comité révolutionnaire antiparlementaire (voir Jules Grandjouan) qui mena la campagne abstentionniste à l’occasion des élections législatives. Par la suite, il soutint avec enthousiasme le projet de Parti révolutionnaire (PR) lancé par Miguel Almereyda, qui fut un échec.
En août 1911, il participa à la reconstitution du Comité de défense sociale (voir Jean-Louis Thuillier).
À partir de janvier 1912, reprenant l’idée du PR, Charles-Albert et Jean Duchêne entamèrent, dans les colonnes de La Guerre sociale, une série d’articles en faveur de l’« entente révolutionnaire » entre socialistes, anarchistes et syndicalistes. Ils devaient par la suite en tirer un livre, Le Socialisme révolutionnaire, son terrain, son action et son but, aux éditions de la Guerre sociale.
De mars à mai 1912, il appartint au Comité antiparlementaire révolutionnaire — impulsé par la FRC — qui mena une campagne abstentionniste à l’occasion des élections municipales de mai. Ce comité rassemblait 25 personnalités anarchistes et/ou syndicalistes révolutionnaires (voir Henry Combes).
Charles-Albert poursuivait sa campagne en faveur de l’« entente révolutionnaire », mais sans succès. Elle fut perçue dans les milieux syndicalistes et anarchistes comme une invitation à se mettre à la remorque du PS. En mai, la FCA lui adressa une fin de non-recevoir, et Jean Grave et Marc Pierrot l’étrillèrent dans Les Temps nouveaux. Malgré tout, Charles-Albert ne suivit pas Miguel Almereyda au PS, et s’en expliqua dans La Guerre sociale du 1er janvier 1913.
Après la répression d’une vague de mutineries dans les casernes en mai 1913, La Bataille syndicaliste initia un Comité de défense des soldats. Celui-ci fut animé par Charles-Albert et Léon Werth*.
En août 1914, il se rallia aussitôt à l’union sacrée et devint un des piliers de la rédaction de La Bataille syndicaliste. Le 8 août, il y déclarait : « Partez sans amertume, partez sans arrière-pensée, camarades ouvriers, c’est bien pour la révolution que vous allez combattre. » Par la suite, il dénigra dans le journal toutes les tentatives pacifistes : les déclarations de Liebknecht au Reichstag (décembre 1914), la conférence socialiste des « neutres » à Copenhague (janvier 1915), les conférences pacifistes ouvrières de Zimmerwald (septembre 1915) et de Kienthal (avril 1916). Contre Romain Rolland, il rédigea une brochure intitulée Au-dessous de la mêlée.
Dans une lettre publiée par L’Humanité du 4 octobre 1918, il annonça son adhésion au Parti socialiste sur des bases unitaires entre majoritaires et minoritaires et en regrettant un parlementarisme excessif.
En 1920, tout en étant membre du PS dans la section de Paris 14e, il fonda le mouvement L’Ordre nouveau, qui se prononçait en faveur d’un renforcement de l’Etat.
En 1927, désormais proche de Georges Valois, il proposa, dans La Volonté du 13 mai 1927, un fascisme de gauche. En 1929, il fit éditer chez Valois L’État moderne, où il écrivait : « L’État, c’est la nation elle-même, spécifiquement organisée en vue de se défendre contre tout ce qui, du dehors ou du dedans, la menace. Dire que l’État s’affaiblit, […] c’est dire que la nation est en péril ».
Toujours membre du PS, Charles-Albert évolua bientôt dans le courant néosocialiste, avec Marcel Déat, qui en 1936 préfaça son ouvrage Une Nouvelle France.
Sous l’Occupation, Charles-Albert écrivit dans le journal collaborationniste La Gerbe. Arrêté à la Libération, il fut libéré peu de temps après et se fit oublier jusqu’à son décès au Kremlin Bicêtre le 1er août 1957.
ŒUVRE : Aux Anarchistes qui s’ignorent, Bibliothèque des Temps nouveaux n° 1, 1895 — L’Art et la société, « Conférence faite le 27 juin 1896, salle de l’Espérance », Publications du groupe L’Art social, s.d. [1896] — À M. Émile Zola, Bibliothèque des temps nouveaux, 1898 — L’Amour libre, Stock, 1899 — Patrie, guerre et caserne. Lettre à un prolétaire, Publication des Temps nouveaux n° 20, 1901 — Qu’est-ce que l’art ? Schleicher Frères, 1909 — Politique et socialisme. Le préjugé parlementaire, La Guerre sociale, 1910 — Le Socialisme révolutionnaire, son terrain, son action et son but (avec Jean Duchêne), La Guerre sociale, 1912 — Au-dessous de la mêlée, Romain Rolland et ses disciples, Rivière, 1916 — Des réformes ? Oui, mais d’abord une Constitution, Paris, s.d. (1920) — L’État moderne. Ses principes et ses institutions, Librairie Valois, coll. Bibliothèque syndicaliste n° 8, 1929 — Une nouvelle France, ses principes et ses institutions, préface de Marcel Déat, Paris, s.d. [1936] — L’Angleterre contre l’Europe, préface de Marcel Déat, 1941.