Dictionnaire international des militants anarchistes
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VERRYCKEN, Laurent
Né le 3 mai 1835 à Grimbergen – mort en 1892 - Ouvrier boulanger ; cheminot ; représentant de commerce - AIT – Bruxelles
Article mis en ligne le 3 janvier 2024
dernière modification le 3 mai 2024

par Dominique Petit, R.D.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les vues anti-autoritaires et révolutionnaires à Bruxelles avaient été pleinement personnifiées par la figure de proue anarchiste de Laurent Verrycken. Il était actif dans le monde de la libre pensée depuis les années 1850. Il co-fonda L’Affranchissement en 1854 et rejoint plus tard Les Solidaires dont il restera membre jusqu’en 1874.
Il devient également militant du club de propagande socialiste Le Peuple et participa en 1864 à la fondation de la section bruxelloise de la première Internationale. En 1868, il était l’un des organisateurs de la coopérative socialiste La Fourmi, mais son nom resta surtout associé à l’histoire de l’Internationale.

A la fin de 1868, il représenta la section bruxelloise au Conseil fédéral national et il resta membre de ce conseil jusqu’en 1873. Les 15 et 16 août 1873, il assista au congrès national de l’Internationale qui se tint à Anvers et s’était tenu le 25 décembre de la même année lors d’une conférence similaire à Bruxelles.
Un an plus tard, les 24 et 25 mai, il était en conférence à Liège.

Dès 1868, Verrycken se présenta comme un collectiviste. Il se distinguait ainsi des mutualistes, bien qu’il soit comme eux un fédéraliste convaincu. En ce sens, Verrycken s’opposait énergiquement aux propositions du centralisateur Marx à la Conférence de Londres en 1871, et après le Congrès de La Haye en 1872, il propagea résolument l’idée anti-autoritaire sans être toutefois, comme les partisans du Cercle populaire anarchiste, en dehors l’Internationale.

En juin 1874, il déclara : « Le but de l’Internationale étant de détruire tout gouvernement, tout état quel qu’il soit, tout devra appartenir à la collectivité. Tout travailleur doit être en possession de ses instruments de travail. Ceux qui font les chemins de fer deviendront les maîtres de leur instrument de travail, puisqu’il en sera ainsi pour les autres corps de métier, sinon les uns seraient libres et les autres plus gouvernés que jamais. »
Un indicateur de police écrivait en septembre 1874 : « Il veut détruire toutes les formes de gouvernement possibles, de manière qu’il n’en reste plus de trace et afin de donner à la révolution la certitude du triomphe, on devra sacrifier au besoin des édifices. Il veut enfin une anarchie, une commune véritable. »
Le 4 de ce mois, lors d’une réunion de l’Internationale, il réagissait contre le rapport que le réformiste César De Paepe avait préparé sur la fonction publique. Il résista : « de toutes ses forces au maintien du mot “état”, qui est répété plusieurs fois dans ce document. Le nom gouvernement, qui n’engendre qu’autorité, pouvoir et despotisme, doit disparaître. Tous les services publics doivent être faits par les groupes de travailleurs, les corps de métiers, soit par des engagements, soit à tour de rôle. Les ustensiles doivent appartenir aux travailleurs, maintenant qu’on est lancé dans le mouvement, il ne s’agit plus de reculer. »

Verrycken était un anarchiste et révolutionnaire, et contre la politique parlementaire bourgeoise. « Demander le suffrage universel pour envoyer des nôtres aux chambres, c’est reconnaître la société actuelle que nous renions. Quand le moment sera là, nous ne demanderons rien, mais nous prendrons ce qui nous appartient. » (25-1-1874)

Verrycken était présent aux congrès internationaux anti-autoritaires de Genève et de Bruxelles, respectivement en septembre 1873 et 1874. Au congrès de Bruxelles, il fit des déclarations claires. L’anarchiste suisse James Guillaume le rapporta : « Verrycken parle contre l’Etat, contre tout État ouvrier. Et constituant ce dernier, nous n’aurions fait que prendre la place de la bourgeoisie ; c’est par la commune libre et la Fédération libre des communes que nous devons organiser les services publics. Leur exécution incombe naturellement aux groupes de producteurs : la surveillance aux délégations, soit des corps de métier dans la commune, soit des communes dans la Fédération régionale. » Par ailleurs, avec l’anarchiste verviétois Pierre Bastin, il s’opposa à l’action politique : « …ils n’attendent rien des parlements, et ils veulent continuer à consacrer toute leur activité à l’organisation ouvrière par corps de métier et fédérations ; la classe ouvrière, lorsque cette organisation sera plus généralisée, fera la Révolution sociale avec succès. » Selon lui, la grève générale était le meilleur moyen d’action pour enclencher le processus révolutionnaire, mais en tant qu’internationaliste et conscient de la « petitesse » du Belgenland, il estimait que le mouvement ouvrier belge devait attendre le signal qui « bientôt de France et/ou de l’Allemagne serait donné ».

Selon Verrycken, il valait mieux ne pas trop recourir à la violence dans l’intervalle, car cela représentait une menace pour les structures organisationnelles laborieusement construites plutôt que d’offrir la perspective d’un changement révolutionnaire. C’est pourquoi il rejeta en 1874 l’appel révolutionnaire des ex-communards blanquistes à Londres et ne participera pas vraiment à la stratégie de "propagande par le fait" du début des années 1880. Non pas qu’il ait complètement rejeté l’usage de la force. Les 17 novembre et 14 décembre 1879, Verrycken donna une conférence sur le thème « révolution et évolution ». Verrycken disait ici, entre autres : « on ne peut obtenir de réformes sérieuses qu’en descendant dans la rue avec un fusil. » Et fin décembre 1879, alors que trois attentats à la bombe avaient lieu lors d’une grève dans le Borinage, Verrycken ne put manquer d’exprimer sa sympathie pour l’usage de la dynamite. Mais il s’agissait d’une posture ponctuelle et certainement temporaire. Verrycken était intéressé par l’organisation des masses et donc généralement contre l’usage de la violence.

Au moins jusqu’en 1874, Laurent Verrycken était l’une des figures de proue de l’Internationale dans la capitale et, en tant que secrétaire-correspondant, il avait de très bons contacts avec ses partisans à l’intérieur et à l’extérieur.

Après le congrès international de Bruxelles en septembre 1874, cependant, il passa à l’arrière-plan. Il ne se présenta presque plus aux réunions, il avait également cessé de se présenter aux réunions du cercle des libres penseurs modérés Les Solidaires. Là, il dut être remplacé comme directeur des funérailles au début de 1875.

Néanmoins, après plus d’un an d’absence, il était présent comme délégué de la section bruxelloise de l’Internationale au congrès national qui se tient à Bruxelles les 27 et 28 février 1876. Il était revenu aux réunions de l’Internationale, mais il n’avait plus rempli ce rôle dirigeant.
En septembre 1877, Verrycken assista au Congrès universel de Gand en tant que spectateur et membre des Solidaires. Verrycken s’était jusque-là montré comme un propagandiste de l’anarchisme révolutionnaire et, comme mentionné, il était passé à l’offensive dans la section bruxelloise de l’Internationale contre des gens comme César De Paepe, qui soutenaient des solutions plus social-démocrates.
La Chambre du travail du réformiste Louis Bertrand en avait également souffert. Cependant, alors que l’Internationale continuait de se détériorer et de s’effondrer dans la seconde moitié des années 1870, il commença à douter de la viabilité de ses idées d’action révolutionnaire et, en 1876, il fit même un pas - quoique réticent - vers le « nouveau » cours du réformisme, mais - quoi qu’en dise Max Nettlau - il ne s’était pas vraiment engagé dans les partis politiques réformistes, même s’il était les 20-21 mai 1877 au Congrès de Malines, où fut fondé le Parti ouvrier socialiste flamand (Verrycken s’était abstenu lors du vote programme) et il assista occasionnellement aux réunions du parti socialiste brabançon en 1877-1878.
Au contraire, lorsque, en partie en réaction à l’émergence de ces partis, des groupes révolutionnaires émergèrent en dehors de l’Internationale à partir de 1879, il reprit le fil révolutionnaire-anarchiste.

Verrycken était resté membre de la section bruxelloise de l’Internationale au moins jusqu’en 1880. Il prenait la parole à la séance du Conseil général national du 25 août 1878 et au congrès national qui se tient à Bruxelles le 1er novembre de la même année.
En 1879, il était correspondant de la section bruxelloise des internationalistes de Verviers. A l’automne, on le rencontra aussi dans les meetings du radical Le Cercle Démocratique, fondé depuis l’été aux côtés de l’Internationale. Il milita pour l’association de ce cercle à l’Internationale. Peu de temps après, cependant, il opérerait lui-même en dehors de l’Internationale.

Verrycken devint l’une des figures de proue (secrétaire-correspondant) de la Ligue Collectiviste Anarchiste bruxelloise qui vit le jour fin 1879. La raison de la création de ce cercle était expliquée dans Le Révolté, 15-11-1879, p. 2, col. 3 magnifiquement décrit : « Il [Verrycken] explique ensuite la raison de la création de la Ligue anarchiste en Belgique. Il y a deux ans, dit-il, un Parti Socialiste Belge a été fondé à coté de l’Internationale ; ce parti a pour objectif déterminé la politique légale et parlementaire et la création d’un Etat ouvrier qui, évidemment, en tant qu’État, ne saurait subsister qu’en conservant les institutions actuelles, telles que magistrature, police, armée, etc., tandis que nous devons chercher à les démolir, un État qui, en cherchant toujours à donner au peuple des gouvernants, créerait nécessairement au-dessous de soi une classe encore plus misérable que le prolétariat actuel. C’est contre les tendances funestes du Parti Socialiste, dit-il, que nous voulons réagir, et c’est pourquoi nous avons voulu former un groupe qui se déclare franchement révolutionnaire, combattant toutes les autorités quelles qu’elles soient ; un nouveau groupe par lequel nous aurons nos coudées franches, afin de ne plus continuer à faire en quelque sorte une propagande bâtarde. »

Verrycken était également resté actif dans la libre pensée. En 1878 il assistait aux meetings des radicaux Les Cosmopolitains et en 1879 on le rencontra dans le groupe des libres penseurs anarchistes L’Affranchissement.

Dans la période 1879-1880, il se faisait également remarquer à nouveau dans l’association modérée Les Solidaires. De plus, Verrycken était très apprécié des ex-communards.
En 1877, il était membre du comité administratif de la Société Française de Prêts Mutuels et de Solidarité et, surtout à partir de mai 1879, il assistait souvent à leurs réunions. Il avait également de bons contacts avec les partisans révolutionnaires et anarchistes du Deutscher Leseverein. En 1881, il reçut Die Freiheit pour eux, qui était publié à Londres par Johann Most.

L’agitation de Verrycken en tant qu’anarchiste de premier plan avait également provoqué du ressentiment. Début juin 1879, on insinua faussement qu’il avait des contacts avec la police. Le jeune révolutionnaire Godfurneau disait de lui : « Il est à remarquer que mon camarade l’internationaliste Verrycken vit en chambre. Il ne travaille pas, il a toujours beaucoup d’argent et lui et sa famille sont tous habillés de neuf depuis peu de temps. Je crois fortement qu’il est en relation directe avec les hauts personnages qui pourvoient à ses moyens d’existence. »
Il était possible que des contradictions personnelles et idéologiques aient également joué un rôle dans ces allégations. Il y avait de nombreuses raisons de ne pas être de bons amis avec Verrycken. Il était un peu excentrique, ce qui avait probablement conduit la jeune génération à l’associer aux anciens réformistes, qui à leur tour le traitaient froidement parce qu’il était trop radical. Et puis il y avait eu sa querelle avec l’anarchiste modéré Eugène Steens, dont pour une fois l’informateur X était lui aussi dans l’ignorance.

En revanche, il y eut le cas de Spilleux. L’anarchiste radical Egide Spilleux aurait reçu en mars 1880 des lettres dans lesquelles il était qualifié de « mouchard ». Selon le réformiste Guillaume Bartholomeus, ces lettres provenaient de Verrycken. Cependant, cette affirmation doit être prise avec précaution. Dans la lutte entre les tendances rivales du socialisme bruxellois, tant d’attaques et de reproches personnels avaient été proférés qu’il était difficile de les prendre tous au sérieux. À notre avis, la revendication de Bartholomeus appartenait à la création d’une atmosphère négative envers l’anarchiste bien connu Laurent Verrycken.

Verrycken était libraire et à ce titre il distribuait presque tous les journaux socialistes belges et étrangers les plus importants dans l’environnement bruxellois. Il avait également collaboré à plusieurs journaux. Il participa à la publication de L’internationale (1873), Le Drapeau Rouge (1880) et La Justice Sociale (1881). En 1879, il publia une brochure de trente-deux pages : Extraits de documents pour servir à l’histoire du rationalisme en Belgique par un libre penseur socialiste, qui était une réaction au livre publié par le modéré Désiré Brismée et en grande partie écrit par Nicolas Coulon : Histoire des sociétés rationalistes de la Belgique par l’Affranchissement, dans laquelle beaucoup ne se retrouvaient pas. Il était également l’éditeur de l’ouvrage Questions sociales à la portée de tous, par un Homme du Peuple, paru en 24 bimensuels. qui comptait 384 pages et a probablement été écrit par l’ex-communard et poète français Jean-Baptiste Clément.

En fin de compte, Verrycken passera à l’action politique de parti en 1884.
En 1885 on le retrouva à la fondation du POB social-démocrate et il devient membre de son Conseil général.
En 1891, il ouvrit le deuxième congrès international de la Deuxième Internationale à Bruxelles. Enfin, quelques détails personnels. Verrycken maîtrisait le français, le flamand, l’allemand et probablement aussi l’espagnol. Il avait d’abord gagné sa vie comme ouvrier dans une boulangerie puis comme conducteur de train sur la ligne vers Luxembourg. Il devient ensuite vendeur de journaux et depuis 1872 il était libraire. À la fin des années 1870, il tenait une boutique de presse au 127 rue Haute, mais il avait du mal à joindre les deux bouts. Plus tard encore, il devint vendeur de machines à coudre et de matériel de selle. À la fin des années 70, sa description personnelle était : taille moyenne, barbe brun-roux et cheveux longs.
Laurent Verrycken est décédé à Bruxelles en 1892.


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