Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

BIENVENU, Renée, Clara, Germaine [épouse LOBRY]

Née le 15 janvie 1913 à Lille — morte le 17 septembre 2012 — Institutrice — Lille (Nord) — Marseille (Bouches-du-Rhône) — Gap (Hautes-Alpes) — Espagne — Algérie
Article mis en ligne le 1er août 2021
dernière modification le 8 août 2024

par Françoise Fontanelli Morel, R.D.

Renée Bienvenu naquit dans une bonne famille de la petite bourgeoisie lilloise. Victor Philippe Joseph Bienvenu né à Bruxelles et Fauconnier Germaine Clémence native de Lille, ses parents, étaient fourreurs. Peu après la naissance de son frère Albert, en septembre 1914, son père fut mobilisé en Belgique. Lorsque leur maison brûla lors des bombardements, Renée s’exila avec sa mère, sa tante et son frère vers la Suisse puis à Paris. Ils rentrèrent à Lille à la fin de l’année 1918 où ses parents ouvrirent un magasin de fourrures.

Renée Bienvenu effectua ses études dans le primaire et le secondaire au lycée Fénelon de Lille. Alors que beaucoup de jeunes filles de sa génération apprenaient la couture, Renée se passionna pour les mathématiques. Elle compléta ses études secondaires au lycée Faidherbe, c’était la première fois que l’on y acceptait des filles en Mathématiques Spéciales. Elle poursuivit deux années supplémentaires à l’Université de Lille où elle rencontra Marcel Lobry, son futur mari. Albert, son frère, et Renée poursuivirent tout deux les mêmes études à un an d’intervalle mais furent assez peu proches. Ils se firent recaler à Physique Générale, Albert partit alors pour la Tunisie tandis que Renée et Marcel décidèrent de s’installer à Marseille pour terminer leurs études. En 1933, Renée participa à toutes les activités du Front Universitaire Antifasciste de Lille, un regroupement de quelques étudiants de gauche s’opposant aux étudiants de droite, alors majoritaires à Lille. Avec un petit groupe d’amis et Marcel, Renée distribua des tracts antifascistes et vendit des journaux pacifistes comme La Patrie Humaine.

Renée Bienvenu fut selon son fils, Claude Lobry, « Le véritable moteur de leurs aventures même si Marcel a laissé plus de traces publiques que sa femme ». Renée épousa Marcel à Lille le 20 juin 1934. La première partie de leur vie fut marquée par l’aventure et surtout par la pratique du cyclotourisme. Ensemble, ils parcoururent des milliers de kilomètres en vélo, sillonnant la France et une partie de l’Europe. Leur premier grand voyage débuta à Lille en 1934, un périple d’un mois et demi et de plus de 3200 kilomètres passant par la Belgique, le Luxembourg, la Suisse, les Alpes jusqu’à Marseille puis Barcelone et enfin Tarascon. En septembre 1935, Renée et Marcel s’installèrent aux Pennes Mirabeau, petit village de la proche banlieue marseillaise dans un petit cabanon sans eau et sans électricité où Renée lutta contre le mistral et les fourmis tandis que Marcel préparait l’agrégation. Reçu à l’agrégation, Marcel fut nommé au lycée de Gap à la rentrée de 1936 et Renée le suivit. Leur passage dans la ville de Gap fit grand bruit : ils furent expulsés de leur premier appartement pour avoir hébergé des réfugiés espagnols et Marcel fut condamné en correctionnelle pour avoir « proféré des injures publiquement ».

Selon les témoignages de Martial Desmoulins et d’Anne et d’Henri Dalgon, en 1936-1937, Renée aurait fréquenté en compagnie de Marcel le groupe marseillais de l’Athénée Libertaire. Durant l’été 1936, Renée prit une photographie de groupe lors d’une sortie champêtre aux Pennes Mirabeau sur laquelle figurent quelques membres de l’Athénée Libertaire (photographie reproduite dans un bulletin du CIRA). Malgré leur installation à Gap, Renée et Marcel conservèrent leur cabanon provençal pour les vacances pendant environ deux ans.

En 1937, Renée et Marcel entreprirent un périple en Espagne en pleine guerre civile. Ils voyagèrent avec un laissez-passer, une lettre de recommandation de Sébastien Faure, qui leur ouvrit les portes et le dialogue avec la population et les syndicats de Catalogne. Ensemble, ils visitèrent des écoles et des prisons à Barcelone. Ils rassemblèrent de la documentation et des périodiques afin d’informer les compagnons sur la situation espagnole, qui leur furent confisqués à leur retour à la frontière. Afin de se rendre compte sur place de la situation italienne, le couple Lobry entreprit une épopée cycliste dans l’Italie de Mussolini. Ils avaient sans doute envisagé de se rendre en Allemagne, si l’on en croit leurs demandes de passeports pour l’Italie et l’Allemagne en février 1938.
Entre 1936 et 1939, Renée et Marcel fréquentèrent beaucoup les milieux ajistes et surtout les auberges provençales du CLAJ (Centre Laïc des Auberge de Jeunesse). Ce fut également dans ces milieux et durant ces années que Renée et Marcel rencontrèrent Romaine Luciani qui deviendra la seconde femme de Marcel à partir de 1950. A 80 ans, Renée faisait toujours partie des milieux ajistes. Elle se souvient d’ailleurs que lors de la déclaration de la guerre, elle se trouvait à Regain, auberge pacifiste du Vaucluse.

La première suppléance de Renée en tant qu’institutrice remonte à novembre 1933, elle était alors étudiante à l’Université, elle l’effectua dans la banlieue déshéritée de Lille. Habituée aux classes difficiles, Renée avait le sentiment de ne pas enseigner selon les normes de l’École Normale d’Instituteur. Elle était alors militante d’une association antimilitariste, Le Fusil brisé. Elle garda de cette expérience de très mauvais souvenirs de ses supérieurs et de ses relations avec l’institution. Avant son mariage et sans doute entre deux suppléances, Renée fut employée à la Banque de France à Lille. Ce fut à Gap qu’elle reprit ses suppléances à leur retour d’Espagne. Les voisins avaient fait courir le bruit qu’elle était l’une de « ses roulures » que Marcel avait « ramassé en Espagne ». Elle effectua toute une série de remplacements dans des communes rurales de montagne plutôt isolées du département des Alpes-de-Haute-Provence (Gap, Saint-Étienne en Dévoluy, Ventavon, Embrun, La Roche de Rame). L’Éducation Nationale lui confia souvent des cours (classes) uniques sur des postes « déshérités » parce qu’isolés, sans transport, sans commerce et souvent sans électricité. Elle vécut la plupart du temps chez l’habitant. Là encore, elle se distingua en skiant en pantalon alors que le curé de la paroisse en avait strictement prohibé le port. Ces remplacements prirent fin en novembre 1938 lors de la grève nationale de toutes les corporations. La veille, le SNI donna un contre-ordre de grève alors que Renée et Marcel avaient sillonné, durant la semaine précédente, tout le département pour encourager les instituteurs à participer à ce mouvement sans précédent. Renée ne tint pas compte de ces consignes syndicales. Son remplacement fut suspendu sur le champ et elle fut rayée des listes de suppléances. L’inspecteur d’Académie lui donna les explications suivantes : « Votre mari dépend du Ministère, je lui applique la sanction nationale (un jour de retrait de salaire) mais vous, vous dépendez de moi alors je vous raye des listes de suppléance. »

Au début de la Guerre, Renée effectua seule un passage clandestin de la ligne de démarcation pour aller à Lille, en zone occupée, rendre visite à son père très malade. Suite à la démission de Marcel de l’Éducation Nationale, à la rentrée 1940, ils louèrent une maison à Maubec, près de Cavaillon. Commençait alors une longue période durant laquelle, les époux Lobry vécurent de petits boulots et durent fuir les gendarmes lancés à leurs trousses après dénonciation — ils ne l’apprendront que tardivement — du proviseur du lycée Thiers qui était un collaborateur. Une période difficile durant laquelle, ils effectuèrent des travaux agricoles et furent aidés par André Lobry, le frère aîné de Marcel, et la mère de Renée qui les hébergea à Cluses où ils étaient connus comme « le gendre et la fille de Mme Fauconnier ».

Les rares meubles dont ils disposaient étaient entreposés dans une grange à l’Auberge de Jeunesse Regain de Saint-Saturnin d’Apt où Marcel Lobry fut arrêté par les gendarmes qui le conduisirent à la prison d’Avignon sans aucune explication. Huit jours après, il fut transféré à Saint-Paul d’Eyjaux à quinze kilomètres de Limoges, dans la Haute-Vienne, alors camp d’internement des politiques. En l’absence de chef d’inculpation et de jugement, Renée se rendit à Vichy en vélo où elle entreprit de démontrer que Marcel Lobry n’était pas communiste. Elle rassembla dans un dossier tous les articles écrits par son mari notamment dans La Patrie Humaine et Le Libertaire. Cela aura-t-il suffit à prouver son appartenance au mouvement libertaire ? Quoi qu’il en soit, Marcel fut libéré aux alentours de décembre 1941.

À Cluses, Renée se livra à des activités de faussaire en fabriquant de fausses cartes d’alimentation et d’identité pour des Juifs qui se cachaient en zone libre. Le 29 août 1943 naissait Claude Lobry à Sallanches, non loin de Cluses, unique enfant du couple.

Après la guerre, alors installés à Chambéry et parce que Marcel Lobry râlait de ne plus rien trouver en France et surtout des lames de rasoir, il répondit à la petite annonce suivante : « Cherche professeur de Mathématiques pour fonder l’école polytechnique de Quito ». La famille Lobry embarqua pour New-York où elle passa les fêtes de Noël 1945 puis passa quinze jours à Bogota pour enfin débarquer à Quito. L’expérience dura moins de deux ans pendant lesquels Marcel eut le temps de rédiger cinq manuels de Mathématiques tandis que Renée se distingua comme un « élément perturbateur » dans les milieux de la bourgeoisie équatorienne et diplomatique. Tandis que Marcel Lobryrentra en avion avec deux valises, Renée dut faire face à toutes les démarches, seule avec son fils de quatre ans. De retour en France, Renée réclama son indépendance et le divorce fut prononcé le 9 juin 1948.

Après avoir travaillé deux ans dans la couture, Renée reprit ses suppléances comme institutrice en 1949 dans les environs de Cluses. Elle enseigna la Physique, l’Électricité et les Mathématiques à l’École d’Horlogerie. Puis durant huit ans, elle eut en charge un cours complémentaire pour filles où elle enseigna les Mathématiques et la Sténographie qu’elle apprit en même temps que ses élèves. Elle passa donc de l’enseignement technique à l’enseignement commercial, variant ainsi les publics et les approches. Élevant seule son fils, Renée Bienvenu surveillait la cantine scolaire le midi et s’occupa de colonies de vacances comme monitrice puis comme directrice-adjointe, témoignant ainsi de ses aptitudes à l’animation, au théâtre et à la danse qu’elle pratiqua régulièrement avec ses élèves. En 1954, elle passa son C.A.P. d’enseignement primaire et fut titularisée à la rentrée de 1955.

C’est lors d’un voyage en Allemagne où elle visitait avec son fils Claude le camp de concentration de Dachau que Renée Bienvenu commença à s’intéresser à la question algérienne. Elle participa à toutes les réunions, les manifestations et les conférences organisées autour de la question. Elle fut rapidement contactée pour s’engager plus activement contre cette guerre. Il lui arriva une fois de faire la « porteuse de valises » pour le FLN, transportant quarante millions d’anciens francs entre la France et la Suisse, mais l’essentiel de sa mission consista à faire passer des Algériens recherchés par la DST française de France en Suisse. Bien connue des douaniers comme « randonneuse », Renée organisa plus de 70 passages à la frontière. Pendant six ans elle fut en mission tous les week-ends pour le FLN en liaison avec Abdelkader, responsable de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) pour le sud-est. Renée Bienvenu ne se prenant jamais au sérieux racontera ces épisodes avec beaucoup de légèreté et d’humour comme à son habitude. Après les accords d’Évian, elle partit enseigner en Algérie et se retrouva confrontée, une fois de plus, à l’administration avec une réintégration difficile en métropole. Ces deux années passées en Algérie, la prise de pouvoir progressive de la caste militaire et les actes de tortures dont elle fut le témoin furent les principales raisons de son soutien au FLN.

À l’âge de 70 ans, Renée Bienvenu réalisa un vieux rêve en compagnie de son petit-fils : voir le « soleil de minuit ». Ils partirent en voiture, une camionnette F6, transformée en camping-car par ses soins à l’atelier Club-bois de la MJC, jusqu’en Norvège. Elle rentra seule, son petit-fils la quitta à Bodø pour rentrer en France terminer ses examens. Elle poursuivit jusqu’aux îles Lofoten et atteignit son but, le cercle polaire, le Cap Nord puis rentra tout en faisant un crochet de 440 km pour voir le fjord Geiranger à Stranda en Norvège. Une dernière aventure s’il en fallait venant démontrer l’affirmation de son fils : Renée fut « le véritable moteur des aventures de Marcel ».

En 1992, à l’annonce de la fermeture de la Bibliothèque de Grenoble, l’Union de Quartier dont Renée faisait partie prit la décision de ne pas « laisser partir nos (ses) livres ». A près de 80 ans, Renée organisa un « commando du Troisième âge ». A l’aide de chariots empruntés dans une grande surface, Renée et les membres de l’Union de quartier vidèrent la Bibliothèque et décidèrent de mettre les livres en lieu sûr. Le village olympique fut recouvert de banderoles dans la nuit. L’incident fit grand bruit et la télévision régionale lui consacra un reportage sous le titre « un hold-up » à Grenoble. Renée Bienvenu fut interviewée à la radio. La mairie porta plainte contre le président de l’Union de quartier qui fut convoqué au commissariat. Les convoyeurs de chariots rédigèrent un texte revendiquant la responsabilité collective et se rendirent en groupe au commissariat. Devant la faible gravité des faits tout le monde fut relâché. La mairie retira sa plainte à condition que les membres de l’Union de quartier rendent les livres.

Au début des années 1990, les petits-fils de Renée lui demandèrent d’entreprendre l’écriture de ses mémoires. À la retraite depuis plus de dix ans, elle s’initia au traitement de textes et rédigea un tapuscrit de 180 pages dans lesquelles elle relata avec beaucoup d’humour et sans jamais se prendre au sérieux sa vie de femme libre sous forme d’un dictionnaire.

Renée Bienvenu est décédée le 17 septembre 2012 à la Tronche (Isère).

Œuvre : Mémoires (non publiées)


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