Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

DIGEON, Émile, Stanislas

Né le 7 décembre 1822 à Limoux (Aude) — mort le 24 mars 1894 — Journaliste — Narbonne & Trèbes (Aude) — Paris
Article mis en ligne le 5 août 2017
dernière modification le 8 août 2024

par Guillaume Davranche, R.D.
Émile Digeon

Journaliste issu d’une famille bourgeoise de Limoux (Aude), Émile Digeon fut un ardent républicain en 1848. Déporté en Algérie suite au coup d’État de Bonaparte du 2 décembre 1851, il s’évada et se réfugia à Majorque en 1852. Il s’y maria avec une riche veuve et se lança dans les affaires, exerçant le métier de banquier. Rentré en France au début de 1870 à la faveur de la « détente » de l’Empire, il reprit la lutte pour la république, devint rédacteur à La Fraternité et correspondit avec Jules Guesde et Louis Blanc.

En octobre 1870, en pleine guerre contre la Prusse, onze départements du Midi s’organisèrent en Ligue du Sud-Ouest. Le 31 janvier 1871, un comité de salut public fut créé à Carcassonne, dont Digeon fut le vice-président, et fut délégué auprès du gouvernement réfugié à Bordeaux. Le 12 mars, il était à Narbonne où il prit la parole à un meeting du club de la Révolution, devant 2 000 personnes ; il y tint un discours socialiste révolutionnaire, réclama l’armement de la garde nationale et l’adoption du drapeau rouge. Le 24 mars, quelques jours après l’insurrection parisienne, la population de Narbonne envahit l’hôtel de ville, prit les armes, et Digeon proclama la Commune.

Il fut l’âme de cette insurrection qui dura huit jours, avant que l’armée ne reprenne le contrôle de la ville. Il fut arrêté le 1er avril et placé en détention. Il fut jugé avec 31 autres inculpés dans le cadre du procès des communards de Narbonne, qui se tint du 13 au 18 novembre 1871 devant la cour d’assises de Rodez. La dignité et la sincérité de Digeon dans les débats furent remarquées de tous et, au terme du procès, il fut acquitté avec d’autres.

Après son procès, Émile Digeon séjourna à Trèbes (Aude), d’où il correspondit avec Jules Guesde, exilé, qui avait soutenu la Commune de Narbonne dans son journal Les Droits de l’homme. Le 17 décembre 1871, à Béziers, il participa à la constitution de la Fédération radicale, qui avait pour but de regrouper les socialistes révolutionnaires du Sud-Ouest. Il en fut le président, et Paul Brousse le secrétaire.

Dès février 1872, cependant, Digeon se replia à Palma de Majorque, tout en gardant des liens étroits avec ses camarades méridionaux et avec Eudes, un des principaux dirigeants blanquistes. Fréquenta-t-il le groupement ouvrier anarchiste de Majorque ? Il se relança en tout cas dans les affaires.

Entre 1876 et 1879, Digeon fit de fréquents allers-retours entre Majorque et Paris. En septembre 1879, il se réinstalla définitivement en France, et travailla comme journaliste au Réveil social à Paris. Guesde lui proposa de collaborer également à L’Egalité.

En octobre 1879, au congrès ouvrier de Marseille, fut fondée la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France (FPTSF), mais Digeon n’y adhéra semble-t-il pas. Entre 1879 et 1882, son positionnement politique se situa aux confins du blanquisme et de l’anarchisme, mais il voyait dans l’unité du socialisme une condition primordiale du succès de la révolution, et il s’opposa tant qu’il put à son éclatement en fractions rivales. Il entretenait des relations cordiales avec des personnalités de toutes ses nuances — de Jules Guesde à Louis Blanc, en passant par Benoît Malon, Auguste Blanqui et son lieutenant Eudes — et joua souvent le rôle de trait d’union.

Personnalité consensuelle, les socialistes et républicains narbonnais le sollicitèrent pour être leur candidat à la législative partielle du 28 février 1880. Il accepta, mais ne fit quasiment aucune propagande électorale, et obtint tout de même 35% des suffrages exprimés au premier tour. Le 14 juillet 1880, il participa au lancement du périodique narbonnais L’Émancipation sociale, placé sous le patronage de Blanqui.

Le 21 novembre 1880, il prit la parole dans un meeting organisé à l’Elysée Montmartre en l’honneur de Louise Michel, tout juste rentrée d’exil. L’amitié qu’ils nouèrent alors joua certainement un rôle important dans l’évolution de Digeon vers l’anarchisme. Ensemble, ils collaborèrent à La Révolution sociale, un des premiers journaux anarchistes français. Lors de la fondation du Comité révolutionnaire central (CRC) par les disciples de Blanqui, il fut contacté par Eudes pour y participer, mais déclina l’invitation.

Émile Digeon habitait alors au 28, rue de Venise, à Paris 4e. Il était un des principaux animateurs du groupe anarchiste qui se réunissait à deux pas de chez lui, chez le marchand de vin Rousseau, au 131, rue Saint-Martin. Ces réunions étaient notamment fréquentées par le jeune Émile Pouget, que Digeon devait considérer comme son « fils spirituel ».

Le 21 août 1881, Digeon fut de nouveau candidat des socialistes narbonnais aux législatives. Cette fois, cependant, le groupe anarchiste de Narbonne, L’Alarme, animé par Gustave Faliès et Gabriel Gouiry, fit savoir qu’il se désolidarisait de cette candidature (lettre à La Révolution sociale, 2 août 1881) et qu’il appellerait à l’abstention. Digeon obtint 40, 7 % des voix au 1er tour, et fut battu au 2e tour avec 46 % des voix.

Le 16 octobre 1881, il prit la parole dans un meeting anticolonialiste organisé par le CRC et, avec l’approbation écrite de Louise Michel, y plaida le rapprochement entre anarchistes et blanquistes.

En juin et juillet 1882, Émile Digeon et Louise Michel partirent en tournée de conférences en province : Marseille, Narbonne, Alès et Lyon, où ils protestèrent contre l’incarcération de Toussaint Bordat.

En août 1882, toujours attaché à l’unité des révolutionnaires, Digeon lança avec Louise Michel la Ligue révolutionnaire internationale, qui fut un échec. Après la scission de la FTSF à Saint-Étienne, en septembre 1882, il tenta de réconcilier Paul Brousse et Guesde, en vain. Le mouvement socialiste était irrémédiablement morcelé et, dès lors, Digeon déploya son énergie exclusivement au sein de sa tendance anarchiste.

Émile Digeon fut alors le principal rédacteur d’une brochure antimilitariste et insurrectionnelle, À l’armée, que Pouget fit éditer début 1883 par le syndicat des employés du textile.

Après le procès des 66 (voir Toussaint Bordat) en janvier 1883, Émile Digeon et Louise Michel s’impliquèrent dans le soutien aux détenus et à leurs familles. Avec François Hénon, il était alors l’un des animateurs du comité d’aide aux familles de détenus socialistes. Après la manifestation des Invalides, le 9 mars 1883 (voir Pouget), qui vit l’arrestation de ses amis Louise Michel et Émile Pouget, Émile Digeon fut de tous les meetings de soutien à ses camarades arrêtés. Inculpé pour délit de presse, il fut relaxé le 22 août par la chambre des appels correctionnels.

Au printemps 1883, à l’occasion du congrès collectiviste tenu à Paris (salle Oberkampf), il participa à de nombreuses réunions anarchistes et notamment à celle tenue le 27 mai à l’issue de la manifestation au mur des fédérés où il attaqua violemment le Parti ouvrier « dont les principaux membres sont des aspirants à des emplois publics et les ennemis de la révolution », dénonçant les parlementaires et appelant « à détruire toute l’autorité quelle quelle soit et combattre pour l’égalité sociale, le seul but que nous chercherons à atteindre tant que nous aurons du sang dans les veines » (cf. réunion du 27 mai après la manifestation au mur des Fédérés).

A cette même époque il était le correspondant à Narbonne du journal Le Réveil des travailleurs publié à Nice par F. Stackelberg.

Le 22 juillet 1883, malgré son adhésion désormais entière à l’anarchisme, Émile Digeon fut de nouveau sollicité par certains socialistes narbonnais, emmenés par Ferroul, pour être leur candidat à une élection législative partielle. Après avoir hésité, il se présenta sous l’étiquette « anarchiste », mais sa candidature ne fit pas l’unité à gauche, et il eut en face de lui le guesdiste Eugène Fournière. Il n’obtint cette fois que 10% des voix. Au 2e tour, il appela à l’abstention.

À partir d’octobre 1883, Émile Digeon collabora au Cri du peuple de Jules Vallès, quotidien socialiste révolutionnaire œcuménique où il représentait la sensibilité anarchiste.

A cette époque, il commença pourtant à souffrir de la vue. Il put de moins en moins écrire et participer à des meetings, et se trouva dans la gêne financière. Il s’installa alors avec sa compagne Lebleu à Puteaux où changea fréquemment d’adresse : 223, avenue de Neuilly, 14, rue Saulnier, et enfin 8, rue du Four. Pour subvenir à ses besoins, il ouvrit un débit de vins à emporter pur le compte de la Maison Canutis de Narbonne

En 1884, Digeon fut un des animateurs du groupe révolutionnaire de Puteaux, continua de donner quelques articles au Cri du peuple et à prendre la parole dans quelques meetings. Il aida également au lancement à l’automne 1884 du journal anarchiste Terre et Liberté (voir Antoine Rieffel).

A l’automne 1884, il refusa de faire partie du jury d’honneur convoqué pour statuer sur le cas de Druelle Sabin (voir ce nom), accusé par Le Cri du peuple d’être un mouchard.

Le 5 janvier 1885, à l’occasion des obsèques de la mère de Louise Michel qui furent suivies par plus de 6000 personnes, Digeon fit un discours au nom des groupes anarchistes. Ce fut sans doute sa dernière prise de parole en public.

Le 14 février 1885, il marcha dans le cortège mortuaire de Jules Vallès au sein de la délégation des rédacteurs du Cri du peuple. Cette année-là, il rédigea, pour le compte des groupes anarchistes bruxellois, une brochure intitulée La Commune de Paris devant les anarchistes. Il ne militait cependant plus guère et, pendant quelques temps, s’efforça d’épauler Louise Michel dans son œuvre littéraire. Cependant, presque aveugle, dénué de ressources, diminué physiquement et intellectuellement, il dut être hospitalisé, sans doute à l’automne, à Lariboisière. En décembre 1885, la police signalait qu’à son initiative une collecte de 15fr aurait été adressée au militant socialiste Pedron de Reims qui avait pris l’initiative de faire un nouveau groupe révolutionnaire, ce qui fut démenti par les autorités de la Marne.

Fin 1885 ou début 1886, il déménagea à Trèbes (Aude), chez un cousin, où il vécut les dernières années de sa vie dans l’isolement et la maladie. Il mourut le 24 mars 1894 et fut enterré dans la fosse commune du cimetière de Trèbes devant une assistance peu nombreuse. Il semble que les autorités aient fait pression pour qu’il ne soit pas enterré à Narbonne afin d’éviter une manifestation socialiste et anarchiste. Sur sa tombe on fit lire son testament, empli de déclarations athées et révolutionnaires.

Pour l’itinéraire complet d’Émile Digeon, consulter la notice de Paul Tirand dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français.

ŒUVRE : La Vérité sur les événements de Narbonne, imp. de N. Ratery, Rodez, 1871 — Projet de Constitution communo-fédérative (inédit), 1872 — Droits et devoirs dans l’anarchie rationnelle, Ed. Arthème Fayard, 1882 — A l’armée, 1883 — Propos révolutionnaires, imp. Décembre, 1884 — Le 14 juillet 1789, imp. Décembre, 1884 — La Commune de Paris devant les anarchistes, 1885.


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