Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

BERNARDING, Julien

Né à Liège le 3 juin 1869 — Mineur — Ogrée (Belgique) — Pas-de-Calais- Illinois, Pennsylvanie & Kansas (USA)
Article mis en ligne le 9 juillet 2016
dernière modification le 8 août 2024

par Michel Cordillot, ps

Fils d’un militant anarchiste de Drocourt (Pas-de-Calais) tué dans un accident de mine fin 1891, Julien Bernarding (parfois orthographié Bernardin) naquit vers 1871 en Belgique, où son père travaillait alors. Il fut depuis son plus jeune âge un révolté. À l’âge de 15 ans, il adhéra au groupe anarchiste d’Ogrée, La Haine, et en fut membre en 1886-87. Il se fit son éducation politique en lisant les journaux comme Le Révolté et La Révolte, puis plus tard Les Temps nouveaux, Le Père peinard et Germinal de Paterson (New Jersey).

Il quitta la Belgique en 1889 pour échapper au service militaire et passa alors trois ans en France, dans le Pas-de-Calais. À cette époque, il fit la connaissance à Billy-Montigny de Jean Brault (voir ce nom), qui venait de rentrer des États-Unis. Ayant repris en France ses activités de propagandiste anarchiste, Julien Bernarding fut arrêté à Drocourt au moment de l’attentat de Ravachol et fut expulsé par arrêté ministériel du 5 avril 1892.

En juin 1892, il fit savoir à la rédaction du Réveil des mineurs qu’il venait d’arriver à Spring Valley (Illinois). Après son arrestation le 26 avril, il avait été expulsé vers la Belgique (où il était recherché pour désertion), mais il avait réussi à gagner Londres et de là était passé aux États-Unis. Dès son arrivée il adhéra au groupe anarchiste La Revanche des mineurs. En mars 1893, il fut avec Jean Brault l’un des orateurs appelés à prendre la parole lors de la commémoration du 18 mars à Spring Valley. Peu après, il fit passer une annonce dans les colonnes de La Révolte invitant tous les camarades d’Amérique à prendre contact avec lui en vue d’organiser la propagande outre-Atlantique. Ceci lui valut le privilège d’être nommément cité dans le réquisitoire de l’avocat-général lors du « Procès des Trente ».

En mai 1893, Julien Benarding s’installa durant quelques temps à Hastings (Pennsylvanie) ; peu après, alors qu’il était parti travailler à Senecca (Illinois), il fut victime d’un accident de mine. Il était alors très intransigeant, considérant qu’un ouvrier unioniste ou social démocrate ne valait pas mieux qu’un républicain ou un démocrate. Rapidement il devint à la fois l’un des principaux collaborateurs et l’un des principaux diffuseurs de la presse révolutionnaire anarchiste francophone. Il donna de nombreux articles à L’Ami des ouvriers, et en février 1895, il se classa en 2e position au concours des abonneurs. En juillet, alors qu’il travaillait à Minden Mines, il était le secrétaire-correspondant du groupe anarchiste La Vérité de Midway (Kansas). La même année, il fut l’un des deux orateurs qui prirent la parole à l’occasion de la commémoration du 11 novembre à Weir City (Kansas). En mars 1896, il fut de même l’un des animateurs des soirées commémorant le 18 mars organisée à Weir City et à Scammonville par les anarchistes locaux. Étroitement surveillé à compter de ce moment, il fut peu après arrêté pour un vol commis avec Henri Evertz (voir ce nom), vol qu’ils ne nièrent pas.

En septembre 1896, au terme de quatre mois de prison préventive, Julien Bernarding et Evertz furent condamné à trois ans de pénitencier. En février 1897, La Tribune libre commença à recueillir les premières souscriptions destinées à hâter leur libération. Dans plusieurs longues lettres adressées à ce journal, Bernarding et Evertz donnèrent une description détaillée de leur vie quotidienne, y compris de leur travail dans la mine de charbon du pénitencier de Lansing (Michigan), ou encore d’un incident ayant entraîné le lynchage d’un Indien. Ils essayèrent, sans grand succès, d’éveiller la conscience sociale de leurs compagnons de bagne en leur faisant lire The Appeal to Reason, journal socialiste autorisé auquel ils avaient pu s’abonner.

Libérés par anticipation de Lansing le 1er juillet 1898, Bernarding et Evertz partirent ensemble à travers l’Amérique du Nord, et furent effrayés de se heurter partout à une « classe ouvrière esclave et abrutie ». Après dix années d’action violente, ils étaient désormais convaincus qu’un patient travail d’éducation serait plus efficace. Ils voyaient comme seul remède la coopération. Fin janvier, ils furent expulsés de Roslyn (Washington), après une débat public houleux avec le curé, au sujet de l’anarchie. Ils décidèrent alors de se séparer. Bernarding voyagea dans plusieurs États (Washington, Oregon, Californie — où il passa à San Francisco), mais il rencontra au total peu d’ouvriers socialistes convaincus. En janvier 1899, il annonça son départ pour la Colombie britannique (Canada), de nouveau en compagnie de Henri Evertz. Arrivés à Cumberland, ils ne purent que constater l’absence de réaction des travailleurs blancs qui se laissaient exploiter sans protester, mais se vengeaient en exploitant en retour les Japonais.

A cette même époque, Julien Bernarding envoyait des correspondances aux Temps nouveaux. De plus en plus, il estimait qu’il fallait agir en fondant des colonies coopératives. Répondant par ailleurs en avril 1899 à Pete Bouvet, qui avait prôné dans La Tribune libre l’abstention aux élections prévues pour l’automne, Bernarding admettait avoir beaucoup réfléchi et évolué, tout en souhaitant rester l’ami de tous les « sincères ». Il repassa dans le Washington, puis arriva finalement à Westville (Illinois), où se trouvait dès la mi-mai 1900.

Resté en contact avec Louis Goaziou, Julien Bernarding participa dès le début au lancement de L’Union des travailleurs. Il se trouvait alors à Fulton (Kansas), membre la Freedom Colony, qui constituait la section 199 du Labor Exchange movement fondé par Cotton et Z. Ernst. Dans sa correspondance, il décrivait les diverses activités de la colonie et ses projets d’extension. Il s’y construisit sa propre maison, plantant des arbres et jouissant — bien que travaillant toujours comme mineur — de cette vie nouvelle à la campagne. Pour autant, il se déclarait en désaccord avec les Naturiens, polémiquant avec Henri Zisly dans ces termes : « J’ai vu vivre les Indiens et je ne voudrais jamais volontairement vivre comme eux. » Il se déclarait favorable à la mise en pratique des théories socialistes. Au terme de seize années de propagande anarchiste sans résultats, il se disait désormais favorable aux Unions de métier, et se réjouissait des résultats de la conférence socialiste d’Indianapolis (juillet 1901), se déclarant prêt à faire désormais porter l’essentiel de ses efforts sur le terrain électoral. En décembre, il avait quitté Fulton pour Frontenac (Kansas) ; il était alors membre du PSA et il invitait tous les travailleurs à adhérer à ce parti pour imposer des réformes.

En 1902, il retourna s’installer à Virden (Illinois). Dans une correspondance envoyée en juin à L’Union des travailleurs, il annonçait que la colonie du Labor Exchange était au bord de la débâcle, faute d’avoir pu payer à temps une somme de 287 dollars due au fermier propriétaire des terres qu’elle louait. Depuis Fulton, il réaffirma en décembre 1902 à la fois sa sympathie pour ses anciennes idées libertaires et son désir de ne se priver d’aucun moyen de faire avancer la cause, en particulier l’action électorale.

À l’automne 1903, Julien Bernarding fit savoir qu’il était favorable à la proposition de Charles Robasse de fonder une Fédération socialiste de langue française. Durant l’année 1904, il resta relativement silencieux, mais dans la lettre de vœux qu’il adressa à la rédaction de L’Union des travailleurs début 1905, il fit savoir qu’il était toujours sur la brèche et qu’il avait activement participé à la campagne présidentielle de Debs. En février 1906, dans une lettre accompagnant sa souscription pour les révolutionnaires russes, il précisait qu’il résidait désormais à Pittsburg (Kansas), à quelques miles de Girard où J. A. Wayland publiait depuis 1897 le très populaire Appeal to Reason. En mars, Bernarding appela les lecteurs de l’Union des travailleurs à soutenir la Western Federation of Miners à l’occasion du procès intenté à ses dirigeants. En mai, délégué à la convention d’État du Kansas du PSA, il ne put que constater l’absence d’autres délégués francophones. En août, il laissait apparaître sa lassitude dans une correspondance adressée à la rédaction de l’hebdomadaire socialiste francophone : « Voilà vingt ans que je lutte contre le régime capitaliste, et parfois je me décourage. » Ce qui ne l’empêcha pas d’être, en février 1907, l’orateur désigné pour prendre la parole en français à l’occasion d’une manifestation de soutien aux dirigeants emprisonnés de la WFM qui se tint à Curranville (Kansas) en présence de plusieurs centaines de mineurs.

En 1909, Julien Bernarding s’installa à Mulberry (Kansas), où il trouva une situation sociale et politique déplorable. Travaillant toujours au fond, il s’était décidé à parler anglais lors des réunions de l’Union (syndicat) pour des raisons d’efficacité. Coopérateur convaincu, il attendait beaucoup de l’extension généralisée de l’Association des consommateurs d’Amérique qui passait un contrat avec les commerçants prêts à garantir des remises de prix aux adhérents. Au cours de ces années, il eut plusieurs fois affaire à des contradicteurs anarchistes qui lui rappelèrent son passé et l’obligèrent à se justifier sur son évolution. Un bref séjour à Clarksville (Arkansas) en 1909 lui inspira des réactions très négative vis-à-vis du Sud, où le poids de la religion et du passé esclavagiste demeurait très fort.

Ce fut pourtant dans cet État qu’après vingt-huit années de travail à la mine, Julien Bernarding se porta acquéreur de 40 acres (16 ha) de terres agricoles et s’installa en 1910 comme fermier à Russellville, une localité de 4 000 habitants (parmi lesquels quelques socialistes), pour « respirer un air pur ». Mais il n’eut guère de succès et dut retourner travailler à la mine durant quelques mois. Ayant trouvé de l’embauche à Spardra (Arkansas), il y fut l’un des fondateurs d’une section socialiste comptant 35 adhérents.

En novembre 1911, Julien Bernarding se prononça pour la proposition de fonder une Fédération socialiste de langue française affiliée au PSA. Il s’interrogeait toutefois sur l’état réel des forces des socialistes franco-américain. Plus généralement, il était assez désabusé sur le mouvement ouvrier américain, trouvant bien faible le nombre des syndiqués. Quant au PSA, il progressait certes, mais beaucoup trop lentement : à Russellville, la section socialiste était passé de 5 à 17, puis 30 membres en mars 1912. Bernarding y occupait le poste de secrétaire et devait faire face à des problèmes de trésorerie chroniques (dépôts de cautions électorales, collectes, propagande), la plupart des adhérents étant archi-pauvres. En dépit des bons résultats obtenus à l’automne à l’occasion des élections (il y avait personnellement contribué en effectuant une tournée électorale au Kansas), il se plaignait de la faiblesse de mouvement en profondeur.

Bernarding restait malgré tout un militant des plus actifs. En avril 1914, il rencontra Louis Goaziou à Mulberry, durant sa tournée au Kansas, et le 1er Mai il fut désigné pour s’adresser en langue française aux milliers de mineurs venus écouter Mother Jones à Frontenac.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale ne contribua pas à apaiser un pessimisme devenu chronique. Dès août 1914, Julien Bernarding déplorait le manque de combativité de la classe ouvrière. En octobre, il fit parvenir à L’Union des travailleurs le compte rendu d’un meeting animé par Debs auquel il avait assisté. En janvier 1916, il se trouvait depuis quatre mois à Arma (Kansas) ; la section socialiste locale y comptait 9 membres (2 Français, 1 Autrichien et 6 Américains), et le travail manquait.

De 1892 à 1916, il ne se passa sans doute pas un mois sans que le nom de Julien Bernarding apparaisse dans les colonnes de la presse révolutionnaire francophone, au bas d’un article ou à l’occasion de l’envoi d’une souscription, d’un abonnement, d’une correspondance. Sa trajectoire militante fut à bien des égards représentative de l’évolution du mouvement révolutionnaire franco-américain.


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