Orphelin de père Eugène Dieudonné avait été élevé à l’orphelinat Stanislas de Nancy où il avait fait son apprentissage à la menuiserie. Placé dans une menuiserie vers 1901, il y faisait ses premières lectures de brochures de Hervé, S. Faure, Yvetot, Marmande et du journal Le Cri populaire et se liait aux frères Bill menuisiers et anarchistes de Nancy. Après son service militaire, il devenait très vite un militant syndicaliste apprécié. En 1907 il avait épousé Louise Kayser, rencontrée lors de conférences anarchistes, et dont il eut un fils en 1908.
En 1909 il montait à Paris où il allait bientôt fréquenté Les Causeries populaires de Libertad et le siège du journal L’anarchie à Romainville. Après que sa femme l’ait quitté pour André Lorulot, il vécut entre Paris et Nancy. Début 1910 il était semble-t-il à Toulon avec un certain Petit Demange où tous deux plaçaient des appareils à jetons de consommation.
Eugène Dieudonné, qui utilisait parfois le pseudonyme de Aubertin, fut impliqué dans l’affaire Bonnot, quand Peemans et Caby, employés à la Société générale, le reconnurent comme étant leur agresseur dans l’attaque de la rue Ordener, à Paris, du 21 décembre 1911.
Arrêté le 29 février 1912, Dieudonné comparut le 3 février 1913 avec les rescapés de la bande Bonnot, devant la cour d’assises de la Seine. Plusieurs de ses anciens patrons vinrent témoigner en sa faveur déclarant qu’il « travaillait et ne témoignait point d’un caractère violent… ses opinions étaient plutôt calmes…bien qu’il n’aimait guère les gendarmes » (Témoignage de M. Guérin). Bien que Garnier d’abord, Bonnot ensuite l’aient innocenté, Caby maintint ses accusations : « Je jure que c’est lui […] je le jure sur la tête de ma petite fille. C’est vous mon agresseur » (Gazette des Tribunaux, 9 février). En vain, Dieudonné protesta de son innocence ; il fut condamné à la peine de mort. La sentence prononcée, R. Callemin, qui venait d’être lui-même condamné à la même peine, déclara être, avec Garnier, l’auteur de l’agression contre Caby, Dieudonné ne se trouvant pas rue Ordener. Cette déposition arrivait trop tard. La peine de Dieudonné fut commuée en celle des travaux forcés à perpétuité.
Au bagne il fut d’abord interné sur les îles dont il tentera plusieurs fois de s’évader. En 1924 il était assigné à Cayenne au service d’un ancien commandant de l’administration. Le 25 juillet 1925, un décret réduisait sa peine à 10 ans de travaux forcés. Dans Le Libertaire (28 aût 1925), Jacob Law qui venait d’être libéré et qui avait partagé longemps la même case à l’iles Royale, lançait un appel pour sa libération.
Le 6 décembre 1926, Dieudonné, qui n’avait jamais cessé de clamer son innocence, et dont la grâce promise, en particulier après les campagnes menées en France par Albert Londres, n’arrivait pas, s’évadait ; après douze jours de lutte contre les flots sur une barque qui chavira et s’envasa plusieurs fois, il parvint à l’embouchure de l’Orénoque. Quelques mois plus tard, suite à un article paru dans la presse brésilienne selon les uns (Comité Dieudonné) ou après avoir pris la parole lors d’une réunion en faveur de Sacco et Vanzetti selon l’ancien forçat René Belbenoît, il fut arrêté et détenu à la prison de Para Belen au Brésil. Le Comité Dieudonné auquel participait sa femme Louise née Kaiser et son avocat maître Moro Gaffieri et le Comité de Défense Sociale dont le trésorier était Coutinat et dont le siège se trouvait 15 rue de Meaux (Paris 19e), lançaient immédiatement un appel à l’opinion publique intitulé “Pour la grâce de l’innocent Dieudonné” auquel s’associaient diverses personnalités et organisations. Libéré début août 1927 Dieudonné était ensuite extradé vers la France. Il fut gracié après les campagnes d’Albert Londres et de Louis Roubaud et s’établit alors décorateur fabricant de meubles dans le faubourg Saint-Antoine et vécut de nouveau avec sa femme qui avait contribué à entretenir la mobilisation en sa faveur.
Il écrivit « La Vie des Forçats » que préfaça Albert Londres. Des anarchistes du Libertaire lui reprochèrent d’avoir abandonné les thèses anarchistes, et un des leurs, Loréal, rendit compte de l’ouvrage dans un article très critique, du 27 décembre 1930.
Deux années plus tôt, en septembre 1928, Dieudonné avait participé au 14e banquet de la revue libertaire du docteur Pierrot, Plus loin. Cette même année 1928 il participait à la campagne pour la libération de Louis-Paul Vial, qui avait été condamné en mars 1919 à 10 ans de travaux forcés et qui avait participé, avec lui, à une de ses tentatives d’évasion du bagne (cf. le numéro 4, octobre 1928, du Bulletin du Comité de défense sociale).
En 1933, un projet de film intitulé « Evadé du bagne » avaut été déposé à l’association des auteurs de films. Sur un scénario de Dieudonné –qui devait tenir le role principal aux cotés de Gaby Morlay — et de Jules Dupont (qui pourrait être un pseudonyme d’Albert Londres ou de Jean Vigo), Jean Vigo avait le projet de tourner ce film en Guyane même. L’interdiction de « Zéro de conduite » et sans doute des problemes matériels l’empêchèrent de mener à bien ce projet qui lui tenait à cœur.
Eugène Dieudonné est mort à l’hôpital d’Eaubonne le 21 août 1944.
Oeuvre : La Vie des Forçats, Paris, 1930, 256 p., Bibl. Nat. 8° Z 22008 (II, 22). Réédité en novembre 2007 par les Éditions Libertalia