Dictionnaire international des militants anarchistes
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Y’en a pas un sur cent… et pourtant des milliers d’hommes et de femmes de par le monde, souvent persécutés, embastillés, goulagisés et parfois au prix de leurs vies, ont poursuivi leur chevauchée anonyme à la recherche d’un impossible rêve : un monde sans dieux ni maîtres.

CYVOCT, Antoine, Marie

Né le 28 février 1861 — mort le 5 avril 1930 — Ouvrier tisseur ; représentant en librairie — Lyon (Rhône) — Belgique — Paris
Article mis en ligne le 7 février 2007
dernière modification le 8 août 2024

par R.D.
Antoine Cyvoct (1883)

Les 13-14 août 1882, Antoine Cyvoct avait été l’un des douze délégués de Lyon de la réunion internationale organisée à Genève par la Fédération jurassienne (voir Herzig).

À Lyon, dans la nuit du 22 au 23 octobre 1882, deux détonations, suivies d’une formidable explosion, éclatèrent dans le restaurant du théâtre Bellecour dit L’Assommoir. Un jeune employé, Louis Miodre, fut tué ; il y eut des blessés ; les dégâts furent considérables.

L’enquête s’orienta vers les milieux anarchistes et les soupçons se portèrent sur un nommé Antoine Cyvoct, gérant depuis le 13 août 1882 (n°3) de L’Étendard révolutionnaire (Lyon, 13 numéros du 30 juillet au 15 octobre 1882), journal anarchiste lyonnais qui avait succédé au journal Le Droit social (Lyon, 24 numéros du 12 février au 23 juillet 1882). On reprochait à Cyvoct d’être l’auteur d’un article intitulé « Un bouge » paru dans Le Droit social du 12 mars 1882 qui concernait le théâtre Bellecour où il était écrit « On y voit surtout après minuit, la fine fleur de la bourgeoisie et du commerce… Le premier acte de la révolution sociale devra être de détruire ces repaires » ; on lui reprochait surtout d’avoir été vu à Lyon le 23 octobre alors qu’il prétendait être en Suisse à cette même date.

Cyvoct, qui était en Suisse, ne se soucia pas de venir à Lyon pour se justifier. Après l’avoir condamné le 6 décembre 1882 à deux ans de prison et 3 000 f d’amende pour propos tenus en plusieurs réunions publiques, on l’impliqua dans le procès dit Procès des 66 qui s’ouvrit à Lyon devant le tribunal correctionnel le 8 janvier 1883, à la suite des violentes manifestations des mineurs de Montceau-les-Mines et des attentats à la bombe perpétrés à Lyon les 22 et 23 octobre 1882. Selon l’importance des charges retenues contre eux, les prévenus avaient été classés en deux catégories (voir Bordat). Cyvoct, prévenu de la seconde catégorie, fut condamné par défaut à cinq ans de prison, 2 000 f d’amende et cinq ans d’interdiction des droits civils.

De Suisse, Cyvoct était passé en Belgique où il vivait sous un faux nom. Au cours d’une expérience de chimie à laquelle il se livrait avec Paul Metayer (voir ce nom) le 23 février 1883, un engin explosa qui tua son compagnon. Arrêté, Cyvoct fut condamné à trois mois de prison pour avoir fait usage d’un faux nom. Ensuite, il fut extradé et, le 11 décembre 1883, il comparaissait devant la cour d’assises du Rhône pour l’affaire de l’Assommoir. Cyvoct nia être revenu à Lyon le 23 octobre, comme il nia être l’auteur de l’article paru dans Le Droit social. La réponse du jury, négative en ce qui concernait la participation de Cyvoct au meurtre du jeune employé Miodre tué lors de l’attentat, ne retint contre lui que la provocation à l’assassinat en raison de l’article « Un bouge ». Cela suffit pour qu’il fût condamné à la peine de mort. Le 22 février 1884, sa peine fut commuée en celle des travaux forcés et Cyvoct partit pour le bagne de Nouvelle-Calédonie où au pénitencier de l’île de Nou il eut le matricule 15263.

Selon Offerlé, le Cercle des Travailleurs socialistes révolutionnaires du IXe arr. le présenta comme candidat de protestation en 1884 dans le quartier Saint-Georges (Paris, IXe arr.) où il recueillit 27 voix. En 1896, il recueillit 6 voix à Maison-Blanche (Paris, XIIIe arr.).

Dans L’Hydre anarchiste(Lyon, 6 numéros du 24 février au 30 mars 1884) dont il était l’un des rédacteurs, à partir du 2 mars 1884 (N°2, presque entièrement consacré à l’affaire), puis dans L’Alarme (Lyon, 8 numéros du 14 avril au 1er juin 1884) qui lui succéda, Cyvoct présenta sa défense et accusa Valadier, agent provocateur démasqué au Procès des 66, d’être l’auteur de l’article du journal anarchiste. Plus tard, Bordat, l’un des condamnés du Procès des 66, l’innocenta de ce grief : « L’auteur de cet article était Damians fils, demeurant rue Tolozan à Lyon, qui fut plus tard compromis dans le fameux procès de l’Internationale et qui, grâce à sa lâcheté, ne fut condamné qu’à six mois… » (lettre à Sébastien Faure parue dans Le Libertaire n° 6, 21-28 décembre 1895). En 1897, Bonthoux, ancien gérant du Droit social, affirma l’innocence de Cyvoct tant au sujet de l’article incriminé que de l’attentat lui-même. Enfin Damians lui-même, dans une lettre datée du 31 octobre 1902 confirmait en tout point ce qu’affirmait Cyvoct en 1884 : « … je reconnais être le signataire […] L’auteur véritable est ce Monsieur Valadier, qui joua un si vilain rôle dans toute cette affaire » (Mon Procès, par Cyvoct s.l.n.d., p. 10).

Dix ans plus tard, alors que les attentats anarchistes se multipliaient en France, Cyvoct écrivit aux compagnons (cf. Le Temps, 21 mars 1894) pour leur demander « d’abandonner des moyens d’action qui ne peuvent que vous déconsidérer, conduire à sa perte la vaillante avant-garde de l’armée de la révolution… », tout en déclarant demeurer fidèle aux principes libertaires. Dans les dernières années de sa peine, il travailla comme employé à la pharmacie du bagne.

En 1895, les journaux anarchistes menèrent campagne pour la libération de Cyvoct, campagne à laquelle s’intéressa Leyret, journaliste à L’Aurore. Mais ce n’est que trois ans plus tard qu’il fut amnistié. En mars 1898, après avoir débarqué à Marseille, il arrivait à Paris. Accueilli à la gare aux cris de « Vive l’Anarchie ! Vive l’amnistie ! », il avait immédiatement tenu une réunion au café Vianey où il justifia sa candidature aux élections : “…J’ai accepté de poser ma candidature. Main, j’en prends l’engagement formel, jamais je ne siégerais à la Chambre. Je suis un homme de cœur et non un politicien. Je connais les souffrances du bagne et si j’en suis libéré, d’autres les endurent encore. C’est pour que Lorion, Monod, Meunier, Liard, Bury, etc. sortent du bagne que je pose ma candidature ; je n’ai qu’une intention : faire de l’agitation en faveur de l’amnistie… »

Le Père Peinard (n° 72, 6-13 mars 1898) traça de lui ce portrait : « Taille moyenne, sec, nerveux, yeux vifs sous des sourcils profondément dessinés, la barbe noire en pointe est coupée ras sur les joues ». Jean Grave à qui il était venu rendre visite, écrivait : « Je m’attendais à trouver un homme exceptionnel. Je suis navré de voir ce que le bagne en avait fait. Le malheureux n’avait absolument plus rien dans le ventre ». En mai 1898, il se présenta aux élections législatives dans le XIIIe arr. de Paris. Sa candidature, bien qu’il eût affirmé qu’elle était uniquement protestataire et destinée à attirer l’attention sur le cas des anarchistes restés au bagne, ne fut pas sans provoquer des protestations dans certains milieux anarchistes ; il ne recueillit que 862 voix sur 14 692 votants. Il s’était présenté sous l’étiquette « socialiste ». Par la suite, il donna, dans les groupes anarchistes, des conférences sur la vie et la chanson au bagne et participa également à des réunions en faveur de Dreyfus où il fut fréquemment le président de séance.

Le 26 novembre 1898, lors d’un meeting organisé à la Maison du Peuple du XVIIIe arrondissement par Janvion et au profit des familles des victimes des lois scélérates, il avait notamment condamné le vol et réprouvé la propagande par le fait pour la raison qu’elle détruit l’idée de l’anarchie : « J’estime que ceux qui ont porté leurs têtes sur l’échafaud ont fait un tort considérable pour le progrès des idées anarchistes et qu’en outre ils auraient pu rendre de grands services à la cause. Je trouve surprenant de voir que ce sont justement ceux qui préconisent la propagande par le fait qui n’agissent jamais. Lorsqu’on est capable d’engager les autres à agir ainsi, on doit être capable de le faire », paroles qui furent alors accueillis par les cris de « Vendu aux bourgeois ! » et contestées notamment par Sadrin et Vivier présents dans la salle.

A cette époque il participait aux activités du groupe Les Iconoclastes qui était dirigé par Janvion et se réunissait au Café des artistes, rue Lepic (XVIIIe arr.) et comme lui, se montrait très critique du Dreyfusisme, y compris en développant des thèses aux relents antisémites. Le 19 mai 1900, lors d’un meeting tenu à la Maison du peuple en faveur des anarchistes espagnols libérés de Montjuich, il avait notamment traité Dreyfus de lâche pour avoir abandonné ceux qui l’avaient défendu et avait ajouté : « Les juifs n’ont marché avec nous que pour conquérir la grâce de Dreyfus. Aujourd’hui les antisémites victorieux parlent de les faire disparaître. Tant mieux, qu’ils pendent tous les grands juifs, nous nous pendrons tous les grands catholiques, la besogne sera plutôt faite ! ».

Vers le printemps 1900 il fut “candidat de l’amnistie” lors d’élections dans le XIIIe arrondissement.

Dans une lettre à Jean Maitron — 24 janvier 1957 — un correspondant a donné sur les activités de Cyvoct après son retour le témoignage suivant : « J’ai connu Antoine Cyvoct après son retour du bagne, il était alors représentant en librairie… Bien assagi et revenu de son enthousiasme anarchiste, cet autodidacte avait une conversation attrayante, ayant complété son instruction à la bibliothèque de l’Île de Nou. Il avait travaillé Darwin, Spencer et le Dr Gustave Le Bon et, lorsque je l’ai rencontré, il avait fondé une loge maçonnique, “L’Idéal social”, dont il s’était nommé vénérable. Cette loge fonctionna un an ou deux, déménagea plusieurs fois, vint, 12, rue Gît-le-Coeur, puis fut rongée par un schisme intérieur au profit d’un groupement d’un tout autre esprit ainsi que l’indiquait son nom : la loge Karma. »
Et le correspondant envoyait à l’appui de ses dires une convocation de Cyvoct (14 avril 1907).

Le 28 mars 1914, à la salle de l’Eglantine parisienne, rue Blomet, il avait fait une causerie sur “la transformation possible de la société actuelle” pour le groupe anarchiste du XVe arrondissement où il avait notamment déclaré qu’après avoir été partisan de la grève générale et de la révolution violente, il avait depuis longtemps abandonné ces idées et reconnu qu’il est impossible de transformer la société sans faire, au préalable, l’instruction et l’éducation du peuple”.

Mme Zévaès, qui fut en relations avec Cyvoct, écrivit qu’il mourut oublié et dans la misère le 5 avril 1930 (cf. La Nouvelle revue, juin 1932).


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