Orphelin de père, élevé par sa mère avec ses trois frères et sœurs, Cheng Tcheng fut l’élève des missionnaires américains de Nankin. Dès 1911, il fréquenta les révolutionnaires de la Ligue jurée de Sun Yat-Sen. Le 1er janvier 1912, à Nankin, il assista à la proclamation de la République : il fut l’un des « deux enfants révolutionnaires » présents aux côtés de Sun Yat-Sen.
En 1913, il prit la parole lors d’un meeting monstre tenu à Nankin au lendemain de l’assassinat du leader républicain Song Jiaoren. Après avoir combattu dans les rangs des républicains en 1913, il se réfugia dans un monastère d’où il ne sortit qu’en 1916. Il entra alors à l’école des chemins de fer de Shangaï, puis à l’université jésuite française L’Aurore, de Nankin. Chef de train sur la ligne Pékin-Hankou, il fut président des syndicats des chemins de fer de la confédération du Nord. Mais il fit aussi partie de ces jeunes Chinois qui voulaient se mettre à l’école de l’Occident pour réformer la Chine. Le 22 octobre 1919, il s’embarqua pour l’Angleterre où il arriva le 22 novembre. De là, il gagna très vite la France, où il demeura dix ans.
Cheng Tcheng était un des deux mille étudiants chinois qui vinrent alors en France, parmi lesquels se trouvent Li Lisan, Deng Xiaoping, Chen Yi et Zhou Enlai, qu’il fréquenta à Lyon. Alternant travail salarié et études, il résida d’abord à Paris, puis à Vendôme où il adhéra au Parti socialiste SFIO. Il aurait participé au congrès de Tours de la CGT (ou peut-être en spectateur invité à celui de la SFIO) en 1920.
En 1921, semble-t-il, il entra à l’École nationale d’agriculture de Montpellier, obtint en 1924, toujours à Montpellier, une licence en sciences, puis son DES d’histoire naturelle. Il quitta Montpellier en juillet 1927. Entre-temps, il avait travaillé dans les magnaneries des Pyrénées, des Cévennes, des Alpes ; en usine en Italie et avait résidé quelque temps à Padoue.
À Montpellier, il fréquenta le Groupe d’études sociales anarchiste et la Société d’études populaires, qui est une des plus anciennes universités populaires de France puisqu’elle fut fondée en 1898. Ses amis le présentèrent alors comme kropotkinien. Il collabora notamment à L’Insurgé (Paris, 1925-1926) d’André Colomer.
Dans un article intitulé « L’anarchisme c’est faire ce qui dépend de soi » il écrivait notamment : « … Notre vaisseau, c’est notre idéal : Anarchie !… Bien choisir le pilote : oui il faut avoir un pilote pour diriger le vaisseau. Qui est o qui sont nos pilotes : Lénine ? Jaurés ? Kropotkine ? Proudhon ? Stirner ? Jesus Christ ? Personne ! Notre pilote c’est le bon sens de tous ! Notre pilote c’est la vie avec son inépuisable richesse d’expériences, expériences du sage et du fou, du vieillard et de l’enfant, du savant et de l’ignorant. Voilà notre pilote !… Un idéal à réaliser peut échouer. Cependant l’échec de la Commune ne veut pas dire la mort de l’idéal, de l’Amour pour la liberté. Au contraire « l’échec est le père du succès » nous dit un proverbe chinois. Il faut faire ce qui dépend de soi. Nous sommes les matérialistes de ce genre ». (cf. L’Insurgé, n°8, 25 juin 1925).
Le 7 mai 1926, à Cette (Sète), il donna pour le Groupe ouvrier espérantiste une conférence intitulée « La Chine pacifique », dans laquelle, sans rien dissimuler des traits rétrogrades de la civilisation chinoise, il montra son pays victime de l’impérialisme européen qu’il ne confondait pas avec la tradition progressiste de l’Europe.
Le 16 juillet 1927, aux cotés notamment de René Ghislain, il avait été l’un des orateurs du meeting tenu à Montpellier en faveur de Sacco et Vanzetti.
En 1928, Cheng Tcheng publia en français un ouvrage intitulé Ma Mère, qui évoque son enfance et les cruelles traditions chinoises à l’égard des femmes. Paul Valéry, qu’il avait connu à Sète, sa ville natale, jugea cet ouvrage digne d’être accueilli dans Commerce, la prestigieuse revue qu’il dirigeait en collaboration ; le premier chapitre parut donc dans la livraison du printemps, précédé d’un article de Valéry en personne (« Préface au livre d’un Chinois ») qui répondait au contenu de la conférence de 1926 et abordait la question des rapports Orient-Occident. Ainsi, Cheng Tcheng a-t-il fourni à Valéry l’occasion de préciser son orientalisme.
Après un séjour à Paris où il enseigna, il continua de fréquenter notamment la revue du docteur Perrot Plus loin (Paris, 1925-1939). Le 22 mars 1935, lors du banquet de la revue Plus loin, il fit une conférence sur les paysans chinois (retranscrite dans le n°122, juin 1935 de Plus Loin). Lors du banquet du 25 juin 1937, il fit un exposé sur « la Chine agricole » (retranscrit dans le n°149, septembre 1937 et signé Tchang Tien Ya).
Puis Cheng Tcheng rentra en Chine et donna des cours à l’Université. Pendant la guerre contre le Japon, il aurait été responsable politique de la 19e armée.
En 1945, à Taïwan, il fut chargé d’organiser l’université. Mais, en 1949, cette île devint le bastion des nationalistes et Cheng Tcheng, accusé de communisme, fut chassé de l’université et placé en résidence surveillée, puis libéré.
En 1965, on le retrouve aux États-Unis chez sa fille. Il séjourna ensuite en France et rentra en Chine en 1978. En 1985, il reçut la Légion d’honneur à l’ambassade de France à Pékin. Il revint en France, à Montpellier et à Paris, en 1944 et à Sète en 1995.
Cheng Tcheng est décédé à Pékin début janvier 1997.
Oeuvre : La Chine pacifique, (slnd, 1926 ou 1927). — Ma Mère (1er chapitre) dans Commerce, printemps 1928, cahier XV. — Orient 1. Vers l’unité 1. Ma Mère (préface de Paul Valéry, de l’Académie française), Éditions Victor Attinger, Paris-Neufchâtel, 1928 ; Orient 3. Vers l’unité 2. Ma Mère et moi à travers la première révolution chinoise, id., 1929 (réédité Éditions de l’Entente, 1975). — Poèmes 1966-1979, Festival du film chinois de Montpellier-Climats, 1995.